Les facteurs d'émission constituent la pierre angulaire de toute évaluation d'impact carbone. Comme le soulignent Wiedmann et Minx (2008), ils permettent de traduire des données d'activité concrètes en émissions de gaz à effet de serre. Cette conversion, en apparence simple, repose sur un travail méthodologique complexe dont les fondements mathématiques ont été établis par les travaux précurseurs de l'IPCC (1996) puis enrichis par de nombreux chercheurs.
Le principe fondamental est illustré dans le schéma ci-dessus : l'empreinte carbone totale est la somme des émissions de GES obtenues en multipliant chaque donnée d'activité par son facteur d'émission correspondant. Cette approche multiplicative, bien que simple dans son concept, nécessite une grande rigueur dans la construction des facteurs d'émission et la collecte des données d'activité pour produire des résultats fiables et comparables.
Source : Traace
La construction d'un facteur d'émission repose sur une équation fondamentale établie par Hertwich et Peters (2009) :
EF = (Ei GWPi)A
Où :
Comme l'ont démontré Brandão et al. (2021), l'incertitude associée suit une distribution log-normale et peut être exprimée selon :
EF =(i2/n))
Où σi représente l'incertitude individuelle de chaque mesure.
Les travaux de Weidema et al. (2013) ont établi une hiérarchie des sources de données pour la construction des facteurs d'émission :
Cette hiérarchisation a été reprise et adaptée par l'ADEME (2014) dans sa méthodologie Base Carbone, qui constitue aujourd'hui une référence en France.
Les facteurs d'émission proviennent principalement d'Analyses du Cycle de Vie (ACV). Comme l'ont documenté Frischknecht et Rebitzer (2005), cette méthode normalisée (ISO 14040-44) évalue les impacts environnementaux selon quatre phases distinctes :
Selon Jolliet et al. (2016), deux approches ACV coexistent pour la construction des facteurs d'émission :
Les spécificités méthodologiques incluent :
Les principales bases de données d'ACV utilisées pour les facteurs d'émission incluent :
Les études de Säynäjoki et al. (2017) montrent des variations significatives entre bases de données, pouvant atteindre 30% pour un même processus. Ces écarts s'expliquent par :
Lloyd et Ries (2007) ont développé une approche probabiliste des facteurs d'émission, démontrant que l'incertitude totale résulte de trois composantes principales :
La propagation de ces incertitudes suit le modèle :
total = (p2 +m2 + t 2)
Les travaux récents de Yang et al. (2022) ont permis d'affiner les facteurs d'émission sectoriels en intégrant la variabilité temporelle. Pour le secteur électrique par exemple, le facteur d'émission dynamique s'exprime :
EF(t) = (Pi(t) EFiP(t)
Où :
Plusieurs axes d'amélioration émergent des recherches récentes :
La construction des facteurs d'émission s'appuie sur des fondements mathématiques et méthodologiques solides, enrichis continuellement par la recherche académique. Comme le soulignent Hellweg et Milà i Canals (2014), leur amélioration continue est essentielle pour guider efficacement la transition bas-carbone.
Prenons l'exemple concret de la construction du facteur d'émission pour un vol commercial, qui illustre bien la complexité de la prise en compte des différents GES et de leur Pouvoir de Réchauffement Global (PRG).
Pour 1000 km de vol :
Pour la combustion d'une tonne de kérosène :
PRG des différents gaz :
Calcul pour 2 500 kg de kérosène :
2,5 × 3 150 = 7 875 kg CO₂
7 875 × 1 = 7 875 kg CO₂-eq
2,5 × 0,02 = 0,05 kg CH₄
0,05 × 28 = 1,4 kg CO₂-eq
2,5 × 0,1 = 0,25 kg N₂O
0,25 × 265 = 66,25 kg CO₂-eq
Total : 7 942,65 kg CO₂-eq
Facteur par passager.km
7 942,65 / (120 passagers × 1000 km) = 0,066 kg CO₂-eq/passager.km
L'incertitude combinée, calculée selon la méthode de propagation des erreurs, donne :
σtotal = √(0,05² + 0,1² + (0,4 × 0,00018)² + (0,3 × 0,0083)²) = 11,2%
0,066 ± 0,007 kg CO₂-eq/passager.km
Comparaison avec d'autres sources
Cette convergence des différentes sources renforce la confiance dans le facteur calculé, malgré les incertitudes identifiées.